10/10/2016

SÉANCE DE RATTRAPAGE SÉRIES : LOUIE (Louis C.K. - 2010 - en cours)

   Encore injustement méconnu dans nos contrées, Louis C.K. semble néanmoins être l'objet d'un culte de la part d'une frange d'amoureux de la culture américaine et de son humour. Le grand public hexagonal ne le connaîtra sans doute jamais que vaguement et au fond, cela importe-t-il vraiment ?

   Vu d'ici, il est même ardu d'affirmer connaître son degré de popularité auprès du public américain, malgré ses apparitions au cinéma (Blue Jasmine, Trumbo, American Hustle) et ses multiples nominations et récompenses aux très prisés Emmy Awards. Car malgré un humour sur scène souvent très accessible – essentiellement mélange de sexe, de masturbation et de fluides corporels –, le travail de Louis C.K. est empreint d'une subtilité savoureuse pour qui sait la voir.




    Ses thèmes de prédilections dépassent très souvent l'humour potache sous-pelvien et son sens de l'observation, indispensable au performer de stand up qu'il est, lui permet d'aborder tous les sujets sans ambiguïté. Dieu, la religion, la mort, le racisme, le mariage, le divorce ou ses enfants sont autant de thèmes qu'il développe et creuse depuis vingt-cinq ans de manière frontale.

    C'est là l'une des particularités de C.K. : il semble dire la vérité. Il ne s'épargne jamais et met en scène ses propres peurs, ses lâchetés, ses faiblesses et ses défauts. Quitte à en rajouter. Souvent. Et lorsqu'il entre dans la peau d'une version de lui-même à tendances misanthropes, impossible de s'égarer sur le sens profond de son message. Jamais il n'existe d'ambiguïté sur son ouverture d'esprit vis-vis des minorités, son rejet des dogmes et des coercitions et son envie de foutre la paix aux autres et de les laisser vivre leur vie.

   Louis C.K. parvient dans le même mouvement à souligner toutes les nuances que recouvre la vie quotidienne et le peu de cas que l'on peut faire de tout ce que l'on grave dans le marbre de manière définitive, avec cette exaltation naïve d'adolescents. Il brûle les totems qu'il montre comme des prêts-à-penser dont la validité ne peut être que limitée, rappelant qu'il est sain de remettre sans cesse nos certitudes en question.

   Sans doute l'épisode spécial de quarante minutes de Louie, dans lequel il met en scène sa véritable tournée au Moyen-Orient pour divertir les soldats d'Irak et d'Afghanistan, en est l'exemple le plus parfait (S02E11).

   Selon son propre aveu, il n'est ni un pacifiste angélique, ni un belliciste ardent, et s'il ne se retrouve guère dans l'idée des conflits armés et politiques menés pour des raisons contrefaites auxquelles il ne croit certainement pas, il n'en respecte pour autant pas moins les soldats qui se retrouvent sur le terrain – leur organisation, leurs valeurs, leur courage et leurs sacrifices.


   Louie est acclamée outre-Atlantique notamment parce qu'il se garde de tout jugement et l'essentiel des personnages qu'il crée souligne toute l'ambivalence de l'être – les guests comme les autres acceptent d'écorcher leur image en jouant leur propre rôle sous un jour qui n'est pas toujours le meilleur.

   En développant une écriture sous forme d'autofiction, Louis C.K. se met en scène lui-même, en tant que comédien de stand up – "comique" dans l'acception française du terme comedian, quelque peu restrictive. Quadragénaire divorcé, père de deux filles, sa quête quotidienne navigue surtout entre la recherche souvent désabusée d'une forme d'amour à laquelle il croit sans plus y croire – mais en y croyant quand même – et son métier d'artiste du rire qui le fait rencontrer un nombre non négligeable de situations improbables. Le tout ponctué de ses coups de blues et ceux de pas de bol – et Dieu sait qu'il ne s'épargne pas là non plus.

   Aussi à l'aise qu'il puisse être sur scène, son personnage devient un gros nounours emprunté et timide, maladroit et mal à l'aise avec les autres et surtout avec les femmes. Il est avant tout un hypersensible, aussi sujet à des coups de sang qu'aux conséquences des regrets immédiats qu'ils suscitent. Un homme qui voudrait finalement tout bien faire mais se retrouve sans cesse confronté à ses propres limitations, très humaines.

   Si son personnage cherche d'abord à faire rire lorsqu'il est sur scène, et en ce sens il rejoint le comédien de stand up qu'il est dans la vraie vie, le C.K. qui met en scène la série recherche des émotions plus complexes. Il manie l'humour au sens premier et celui-ci diffère fondamentalement du comique. L'humour peut faire rire là où le comique cherche à faire rire. L'humour porte un regard sur les choses, souvent cynique, en ce qu'il souligne le plus souvent la vacuité et la vanité de nos actions, quand le comique pointe le décalage qui forme un bug dans la matrice.

   Le cynisme auquel nous nous référons est lui-même très éloigné de la définition courante du terme de nos jours, plutôt péjorative. Non, ici, nous entendons le cynisme de Diogène et de sa philosophie, de cette clairvoyance sur nos faiblesses et nos atermoiements, sur lesquels il convient de mettre le doigt, sans pitié, de manière grinçante, parce que c'est dérangeant. Précisément parce que c'est dérangeant. Et au passage, on peut balancer une généreuse dose de sel et de citron sur la plaie, histoire qu'elle reste vive pour surtout, surtout ne pas être tenté de l'ignorer.

   C'est ça l'humour. Cette capacité à faire face aux paradoxes et à l'absurde des choses et des gens, et à ne pas s'effondrer en les regardant droit dans les yeux. L'humour peut adopter une forme comique mais n'y est pas circonscrit. Il est plus que cela et il peut plus que cela. Il est la politesse du désespoir, une pudeur et l'expression d'un amour profond de la vérité, aussi douloureuse soit-elle.

   Louie atteint pleinement cette hauteur en créant une écriture et un style jamais vus dans le format sitcom dans lequel elle se classe. La série est en ce sens révolutionnaire, en ce qu'elle marie des formes nouvelles et ringardise celles plus traditionnelles et déconnectées du monde réel auxquelles nous avons été abondamment nourris (Friends, How I met your mother, Big Bang Theory,…).

   Ici, Louis C.K. propose un traitement quasi documentaire et un ancrage dans le réel si fort que ses incursions régulières dans le fantastique ou l'absurde absolu y trouvent une place naturelle. Les dialogues, leur sens et leurs sous-textes, le jeu des comédiens : tout est brillant de justesse. Sa narration même, rarement linéaire, pose chaque épisode comme une pierre développant un thème et dont l'assemblage propose un édifice riche et complexe.

   On sent avec netteté les influences majeures de C.K. et le fait qu'elles ont été parfaitement digérées pour construire son univers personnel. Il y a du Woody Allen dans les hésitations et les peurs de ce new-yorkais jamais loin de la dépression au cœur de ses interrogations existentielles. Il y a du Scorsese et du Cassavetes dans la mouvance de sa caméra et la liberté de jeu de ses comédiens, tout autant que dans les accents jazzy de la série aussi.

   Travaillant sur le malaise comme peu d'autres avant lui, C.K. laisse au spectateur le choix de trouver cela drôle ou non. Et même si certains épisodes sont clairement traversés d'une terrible dimension dramatique, ils portent néanmoins toujours en eux une touchante mélancolie et une poésie incroyable.

   À cet égard, les épisodes en flashback traitant de son enfance n'ont rien à envier aux meilleurs films du grand écran. L'atmosphère, la mise en scène, le montage, la musique, la justesse – encore. Tout contribue à développer un propos dont la fraîcheur est exaltante.

   Alors que les créateurs français semblent peu à peu bénéficier d'une liberté plus grande qu'auparavant pour créer de nouvelles formes dans le même registre – rien à brouter de consistant depuis H –, les tentatives osées de renouvellement dans le domaine se retrouvent pourtant encore circonscrites à des placements de niches à la visibilité peu évidente (Irresponsable ou Lazy Company, toutes deux sur OCS) malgré leur succès critique.

   L'espoir semble néanmoins croître avec la récente programmation sur France 4 de Loin de chez nous, un autre format en 26 minutes qui mêle adroitement drame et comédie en développant une véritable approche humoristique des choses de la vie et peu de doutes subsistent sur le fait que son auteur Fred Scotlande fasse parti du cercle des amoureux de Louis C.K.

   La référence est excellente et le résultat plutôt bon. Espérons qu'il ouvre une voie royale à ceux qui se risquent dans l'inconnu de l'originalité.



RED FOX

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